«SALOPE!… et autres noms d’oiselles ». Voilà une exposition dont le nom ne laissera pas grand monde indifférent. Provocatrice, elle s’intéresse à l’insulte au féminin.
Elle propose un regard sur la fabrique des stéréotypes de sexe, de classe, de race, et interroge sur le pouvoir des mots. Utiliser de façon courante des mots comme pétasse, salope, fils de pute, connasse, c’est insulter ou pas? C’est grave ou pas? L’exposition interroge sur la manière dont une parole violente, agressive circule et est distribuée ou détournée dans une société. Rencontre avec elle qui est à la base de ce travail.
Laurence Rosier, professeur de linguistique à l’ULB et commissaire de l’exposition, comment est née l’idée de cette expo au nom provocateur?
Je travaille depuis 20 ans sur l’insulte, de manière scientifique avec mes étudiants. Je les envoie régulièrement sur le terrain dans les écoles, dans des homes, sur le réseau STIB, etc. Et progressivement, j’ai eu envie de partager ce travail de façon plus large et sous une autre forme, pas dans un article scientifique ou un cours universitaire. L’exposition s’est en quelque sorte imposée d’elle-même.
Une exposition que vous avez ouverte à des artistes…
En effet, nous ne voulions pas une exposition uniquement universitaire, c’est-à-dire avec de grands panneaux à lire. Nous voulions ajouter une dimension artistique à celle-ci. Nous avons choisi des artistes qui interrogent sur le féminin, les normes, les convenances et les gros mots. L’objectif était de mêler tout ça avec le travail sur l’insulte au féminin. Au final, nous avons conservé six grandes insultées célèbres et huit artistes qui sont en écho de chacune de ces personnalités.
Comment avoir choisi ces six femmes?
Elles sont toutes les six controversées. Personne n’a par exemple pleuré à la mort de Margaret Thatcher. Nabilla, tout le monde la trouve conne. Marie-Antoinette s’est fait décapiter. La question est de savoir si elles justifiaient le torrent d’insultes dont elles sont victimes aujourd’hui. Il s’agit de l’aspect plus éducatif de l’exposition, une éducation au sexisme au sens large.
Pourquoi l’insulte au féminin?
J’aurai également pu faire «fils de pute ». La question du genre est un peu à la mode et elle n’avait jamais été abordée du point de vue de l’insulte. Si les femmes insultent autant que les hommes, elles sont en général surtout insultées. «Salope » représente un peu le prototype des insultes. Il y a des connotations sexuelles, mais aussi manipulatrices, méchantes. Cela offrait donc énormément de possibilités d’exploitation.
L’insulte, au féminin, comme au masculin, a-t-elle encore de beaux jours devant elle?
Elle n’a jamais été aussi présente qu’aujourd’hui, notamment parce que désormais elle s’écrit. La toile a notamment permis que certaines choses qui ne s’écrivaient pas, s’écrivent désormais. L’insulte existera toujours parce qu’elle est une manière d’exprimer des émotions. Il peut y avoir une insulte de dépit, une insulte de tristesse ou agressive par exemple.
Un titre d’exposition volontairement provocateur?
Nous sommes tout de même à l’ULB (rires). Il fallait avant tout frapper, mais c’est aussi parce que l’œuvre qui est exposée sur l’affiche est un peu le fil rouge de l’exposition. L’artiste faisait quelque chose de fort en écrivant une insulte sur un ruban funéraire. Le titre et le visuel étaient déjà tout trouvés.
Des choses surprenantes à voir?
Certaines œuvres ont été créées spécialement pour l’exposition. Je pense notamment au «Jardin des salopes ». Le but était de montrer que le mot salope circule bien, parce qu’il est utilisé par tous les grands auteurs en littérature. Il s’agissait également de donner une énigme. Quand c’est éducatif, il faut aussi que les élèves puissent s’interroger. Pourquoi ces poupées? Finalement, les petites filles ne sont pas des salopes, mais parfois on les traite comme des salopes, quand on les viole, on pratique l’inceste, la pédophilie, etc. Il y a toutes des choses qui surgissent de l’enfance d’où fleurissent des citations.
Une exposition qui mêle Margaret Thatcher et Nabilla, c’est étonnant, non?
Cela fait aussi partie de mon esprit provocateur. Les gens pensent peut-être qu’il est normal de les insulter, or le travail de mes étudiants sur Nabilla, par exemple, montre qu’il s’agit de quelqu’un qui essaie de dire aux gens de faire des études, de ne pas faire de faute. La condamnée comme ça est un peu trop facile et ce n’est certainement pas une raison pour la traiter de tous les noms.
À qui se destine votre travail?
Évidemment les étudiants, mais également un public scolaire plus jeune. J’ai déjà beaucoup de classes qui se sont montrées intéressées dans le cadre des cours de moral ou de philo. Il y a derrière tout un travail sur le poids des mots. Les jeunes utilisent ces mots de manière courante et disent eux-mêmes qu’ils ne sont pas méchants. Pourtant, certains les touchent très fort. Il y a une réflexion à faire sur leur poids et sur les stéréotypes qu’ils véhiculent