Cette rue a d’ailleurs le privilège de disposer de quatre plaques au lieu de deux traditionnellement. En-dessous de son nom, on peut y lire ce vers: “Liberté de l’Afrique, j’écris ton nom.” Un hommage envers un homme assassiné sur ordre de responsables belges notamment.

Déjà présente dans d’autres communes de Charleroi, la rue Paul Pastur cède donc sa place qu’elle a occupée durant de nombreuses années. “Ce choix n’a pas été fait au hasard” a déclaré le bourgmestre, Paul Magnette (PS), devant le micro placé à même le trottoir. “Paul Pastur était un grand humaniste. Il était un grand défenseur de la justice sociale.” 

Pourtant, la rue en question est très petite et n’est pas spécialement fréquentée. De quoi mettre un bémol sur l’initiative? Pas aux yeux des nombreux citoyens présents et des associations qui ont soutenu le projet! Le conseiller communal d’origine congolaise, Gaëtan Bangisa (PS), est à la base de la démarche initiée il y a deux ans par le conseil communal. Lui aussi est ravi du choix opéré: “Lorsque j’avais 21 ans, cela me dérangeait de ne rien connaître sur l’histoire que la Belgique et le Congo partagent. Aujourd’hui, j’ai 40 ans et j’ai deux enfants en bas âge. C’est moi qui leur en parlerai plus tard. Mais le nouveau nom accordé à cette rue informe le passant. De nombreux gosses passent par ici pour se rendre à leur école ou pour la quitter. L’éducation est la meilleure arme contre les discours haineux. L’important, c’est d’offrir un meilleur futur possible aux jeunes.”

Le choix de l’endroit revêt donc un caractère symbolique à ses yeux. Et notre interlocuteur ne veut pas minimiser la portée du geste: “Aujourd’hui, la Belgique et la Ville de Charleroi rendent quelque chose à Patrice Lumumba et à ses petits-fils. Je suis moi-même le petit-fils de Lumumba, mais aussi celui de Nelson Mandela et de tous ceux qui ont défendu la cause noire. Il faut que nous ayons accès au respect tout simplement.”

Le chemin risque encore d’être long. Celui de la rue Lumumba à Charleroi a d’ailleurs été semé d’embûches. “Il y a quelques années, plusieurs personnes ont tenté de nous décourager. Elles ont rigolé de nous. Maintenant, je tiens à leur dire ‘Merci’! Car cela a renforcé notre motivation. Je tiens aussi à remercier Paul Magnette. Il m’a toujours appuyé. Lorsque je me posais des questions sur l’avancée du projet, il me répondait: ‘T’inquiète m’gamin! Ça va passer. Il n’y a pas de souci’. Vraiment, je suis fier d’être Belge et encore plus d’être Carolo. J’aime le Pays Noir” a clamé Gaëtan Bangisa lors de son discours adressé à la foule.

Ce dernier n’était pas seul dans sa lutte. Maximin Emagna de l’association Europe Belgium Diversity (EBD) a aussi porté la proposition depuis ses débuts: “Je suis ému. Le projet date de 2014. Que d’oppositions nous avons eu à affronter! Y compris au sein même de notre communauté. Nous avons dû convaincre de la pertinence de l’entreprise. Le but de cette première rue Lumumba en Belgique est de réconcilier la mémoire post-coloniale. Pour lutter contre le racisme, il faut pouvoir faire le lien entre le passé et le présent.”

Pour Leslie Makoso du Collectif Mémorial et Lutte Contre les Discriminations, le soulagement est grand: “La rue Lumumba est dévoilée. Enfin! Nous avons attendu deux ans depuis la décision du conseil communal.” Paul Magnette reconnaît d’ailleurs que de nombreuses discussions ont eu lieu au sein de la majorité communale pour déterminer la meilleure date possible. Le 2 juillet 2020 a finalement été retenu. Quelques jours après les 60 ans de l’indépendance de la République Démocratique du Congo. Quelques jours après le discours du Roi Philippe qui a exprimé ses regrets par rapport aux abus de la période coloniale. Mais aussi quelques jours après la polémique suscitée par la présence du monument dédié aux vétérans coloniaux au sein même de l’Hôtel de Ville carolo. Le moment ne peut pas mieux tomber.

Qu’à cela ne tienne! L’état d’esprit général est positif. “Cette première rue Lumumba en Belgique personnifie toute l’Afrique. Car il n’y a pas que des personnes aux racines congolaises qui se sont démenées pour elle. Plusieurs nations africaines sont représentées ici. La crise du Covid-19 nous amène tous à revoir notre mentalité. Nous voulons apporter de la couleur à l’Europe. Et c’est peut-être bien Charleroi qui en sera l’instigateur” estime Caleb Djamany de l’Assocation Sans But Lucratif (ASBL) Soleil Levant.

Enfin, le très attendu Guy-Patrice Lumumba a également pris la parole: “L’inauguration de cette rue est un grand geste politique. C’est aussi un geste courageux au vu du contexte raciste dans lequel nous vivons. Il a été pris sous le regard menaçant des colonialistes sur les réseaux sociaux.”

Après la cérémonie, l’homme a pris de nombreux selfies en compagnie de ses aficionados. Il a partagé avec nous son sentiment sur cette journée particulière: “C’est une grande fierté d’être là. Une grande joie m’habite. Un vent de conciliation souffle sur la Belgique. Tant que les méfaits et l’assassinat de mon père n’avaient pas été reconnus par le Roi, un froid existait. C’est pourquoi je veux remercier le peuple belge de reconnaître l’apport de la population étrangère.”

Charleroi restera dans l’histoire la première ville belge à avoir accordé un nom de rue à Patrice Lumumba. Bruxelles a déjà fait référence à l’homme politique congolais. Mais la capitale lui a accordé un nom de square. Ce qui n’est pas exactement la même chose.